jeudi 18 février 2016

Sources et bibliographie


Pour Euripide
Site Internet :
http://www.e-olympos.com/theatre.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Euripide
http://www.persee.fr/doc/vita_0042-7306_1990_num_117_1_1597
http://mythologica.fr/grec/texte/phedre.htm
http://remacle.org/bloodwolf/tragediens/euripide/hippolyte.htm

Pour Sénèque
Livres :
- Sénèque, Phèdre : Bac Latin. Hatier, 2015. 175 pages. Les Belles Lettres, 978-2-218-98672-7
- Sénèque, Tragédies : Tome 1. Les Belles Lettres, 1971. Collection des Universités de France.
Site Internet :
- https://fr.vikidia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_romain#Les_repr.C3.A9sentations_th.C3.A9.C3.A2trales
- http://www.gratumstudium.com/latin/theatre.htm


Pour Garnier
Site internet :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Garnier

théâtre humaniste :
-  http://www.theatrons.com/theatre-renaissance.php
caractéristiques d'Hippolyte :
 -  https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippolyte_(Garnier)
- https://books.google.fr/books?id=cmhu2R_trBgC&pg=PA31&lpg=PA31&dq=hippolyte+garnier+personnages+diff%C3%A9rents+du+mythe&source=bl&ots=7wVEPQncxf&sig=wjfkZwt2rvWe3YMYl24BNfe0CTM&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj51erjpPrKAhWFtRoKHUpqCEYQ6AEIMzAE#v=onepage&q=hippolyte%20garnier%20personnages%20diff%C3%A9rents%20du%20mythe&f=false

Pour Racine
Site internet :
Histoire theatre classique
Règles de la tragédie 
Organisation de la scène
Conditions de rpz au théâtre du XII
Conditions de vie des comédiens 
https://fr.vikidia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_au_XVIIe_si%C3%A8cle
Règles du théâtre classique :
 http://www.toutpourlebac.com/dossiers/161/bac-fiche-francais--les-regles-du-theatre-classique/445/la-regle-des-trois-unites.html
architecture théâtre classique :
http://www.atea.info/spip/Les-conditions-de-representation.html
livre sur le Phèdre de Racine :Profil d'une oeuvre, Phèdre de Racine, éditions Hatier
Pour Dac

Pour Kane
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjR0qGnrP_KAhWFrRoKHeHpC5EQFgggMAA&url=https%3A%2F%2Ffr.wikipedia.org%2Fwiki%2FSarah_Kane&usg=AFQjCNElVMVhjtIip2KBUweJfsN74veXiA&sig2=2LrU8oJbM8QQU99RFkbvmg
texte PDF "Phaedra's Love" :http://ptchanculto.binhoster.com/books/-Lit-%20Recommended%20Reading/Female%20Writers/Sarah_Kane_Phaedras_Love.pdf


Conclusion générale


En fait, la pièce comme le personnage de Phèdre ont évolué avec les sociétés dont ils étaient issus. En effet, Alors que le théâtre lui-même change, dans sa construction comme sa fonction, les principes mêmes qu'il partage semblent évoluer :

Dans le théâtre grec, la fonction du théâtre est religieuse : Pratiqué durant les Dionysies, il s'agit avant tout de danse et de chant en l'honneur des dieux. Les pièces sont écrites spécialement pour des concours, et jouées dans un unique cycle comportant trois tragédies et un drame satyrique. Ainsi, ces tragédies mettent en scène un  ou plusieurs personnages atteint d'"hybris", de folie, afin de provoquer dans le public une "catharsis", qui vise à purger ses passions et inculquer un respect aux dieux. Phèdre, dans la pièce d'Euripide, a cependant un rôle d'exemple, de prétexte : le vrai héros de la pièce est Hippolyte qui, pour avoir défié Aphrodite, la méprisant, trouve la mort. Phèdre n'est qu'une victime de son sort, contre lequel elle essaye de lutter.

Le théâtre romain, quant à lui, trouve déjà plus une notion de divertissement. Sénèque est un auteur qui, particulièrement, se concentre sur la personnalité des personnages, en la développant de manière à les dépeindre de la manière la plus monstrueuse possible : ces personnages sont en effet appelés les "Monstres sénéquiens", et Phèdre en fait partie.La pièce porte donc son nom : Cette fois-ci, Phèdre est et désire être coupable : elle se précipite vers sa mort sans tenter de lutter contre sa malédiction, qui n'est qu'un prétexte pour elle pour laisser éclater le monstre en elle. Ainsi le "dolor" dont elle souffre prend racine dans son amour impossible pour son beau-fils; il devient "furor" quand elle est rejetée par celui-ci et elle sort de l'humanité, commet son "nefas" en l'accusant de viol auprès de Thésée, signant son arrêt de mort.
La notion de "catharsis" n'est plus présente comme chez Euripide : les personnages sont grecs, et finissent par sortir de l'humanité. Ainsi le public ne se sent pas concerné, car une mise en distance est faite. Sénèque exploite en fait la notion de monstre afin de mettre en valeur une beauté, une esthétique à but purement divertissant.

Le théâtre humaniste de la Renaissance comme nous avons pu le voir nous offre un théâtre qui s'inspire directement de l'Antiquité et la richesse de son art, en y ajoutant toutes les évolutions techniques et sociétales de son temps.
On découvre un théâtre esthétique et divertissant, destiné principalement à la noblesse. Des comédies peu nombreuses et des tragédies modernes. Hippolyte ici diffère peu de ses anciennes réécritures, et Phèdre reste fidèle à elle même. On doute de l'originalité de cette pièce, quand on la compare à celle qui suivra et qui connaîtra un succès incroyable la "Phèdre" de Racine.

Le théâtre classique est donc dans la lignée directe du théâtre de la Renaissance, l'esthétique et la morale règne, les pièces doivent plaire absolument à la Cour, les règles de mise en scène sont puisées de l'Antiquité. Ce théâtre est lui aussi représentatif de la société de son temps, à l'image de l'autorité suprême, l'arbitre des arts : Louis XIV.
Ici Phèdre est traitée avec une certaine humanité, qui inspire la compassion du spectateur : elle subit ses passions et a conscience de leur atrocité, elle essayera de les combattre en vain. Pour finalement se repentir à la fin de la pièce, avant de se suicider, ce qui prouve la morale très présente à cette époque, et aussi l'omniprésence de l'Eglise "faute avouée à moitié pardonnée".
Le théâtre classique est donc un tournant majeur dans la société, et "Phèdre" en est le miroir.

Le théâtre de Pierre Dac, par une pièce courte et vulgarisée, s'adresse à un large public. Il prive Phèdre de ses lettres de noblesse et la rabaisse à un rang populaire, attirée par quelque chose qu'elle ne peut avoir. En 1935, il est vrai que tout le monde n'a pas le temps, l'envie ou les moyens d'aller au théâtre; aussi, il imagine une pièce simple qui parlera à l'imaginaire collectif, divertissante, et qui ne pourra être qu'écoutée, par exemple à la radio, où l'auteur travaille. Ainsi, sans nécessiter trop de capacités intellectuelles, les auditeurs peuvent se détendre et passer un bon moment. Dans cette pièce, tout est en noir et blanc : le burlesque tourne une tragédie antique en ridicule, jusqu'à l'extrême, la folklorisant.

Le théâtre réaliste du XX/XXIème siècle est comme nous l'avons constaté un théâtre sans artifices ni situation fantastique, il est concrètement le miroir de la société de son temps. Il est cru et très subjectif, comme nous l'avons démontré avec la pièce de Sarah Kane.
La vision de cette auteure de notre société est un des aspects que nous ne désirons pas voir, à savoir la violence physique et morale, qui nous entoure au quotidien. On s'attache beaucoup à la psychologie des personnages, car ils sont souvent proches de nous, dans leur langage, leurs réactions... Ce n'est plus du jeu mais une mise en scène de la réalité. Les pièces contemporaines sont assez controversées par les critiques, estimant que le théâtre est un art purement classique, et dont il ne faut pas s'en écarter.

Cependant, la société évolue, constamment. L'art doit évoluer si il veut garder une de ses fonctions, être représentatif de son époque et de sa société. L'art est le témoin du monde, du commencement de notre existence à aujourd'hui encore, et nous devons perpétuer sa fonction représentative.

Kane et le théâtre réaliste

Le théâtre réaliste et moderne

A partir du XXème siècle, on reproche au théâtre de perdre sa fonction première : le divertissement, car on met en scène à ce moment là beaucoup de pièces qui visaient à montrer la réalité comme nous n'avons pas envie de la voir cruelle ou monotone. C'est un tournant majeur pour la dramaturgie, nous appelons ce mouvement "moderne" pour son caractère révolutionnaire dans le théâtre contemporain.

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Théâtre du Châtelard, Rhône Alpes
Le théâtre se popularise de siècles en siècles, il devient totalement accessible au plus basses classes sociales, tout dépend du lieu et du spectacle représenté. Même si dans beaucoup de théâtres on retrouve cette hiérarchie des classes sociales où les plus riches ont accès aux meilleures place.

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Théâtre Mogador, Paris
















Sarah Kane, une vie sombre

Afficher l'image d'origineSarah Kane est une dramaturge britannique. Née le 3 février 1971 à Brentwood (Essex), elle est connue pour ses pièces très réalistes et violentes.Elle commence sa carrière en 1995, après avoir étudié le théâtre aux universités de Bristol puis de Birmingham. Le 20 février 1999, elle se pend avec ses lacets à l'hôpital King's College de Londres, interrompant brutalement sa carrière en essor.

Ses pièces sont Anéantis (Blasted), L'Amour de Phèdre (Phaedra's Love), Purifiés (Cleansed), Manque (Crave), et 4.48 Psychose (4.48 Psychosis), cette dernière ayant été publiée à titre post-mortem.
Kane était dépressive, elle nous montre d'ailleurs à travers ses œuvres sa vision d'un monde pour le moins atroce et envahi par la débauche, le sexe, la violence et la solitude.
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4.48 Psychosis
Image
Cleansed













L'Amour de Phèdre, tragédie moderne.

Tout d'abord, le mythe de Phèdre n'est pas comme dans les autres réécritures au centre de la pièce, ici Kane y prend juste l'intrigue la plus simplifiée possible du mythe : Phèdre est mariée à Thésée mais aime son beau fils Hippolyte, et elle mourra pour ça. La pièce est écrite dans un anglais urbain, le mot "fuck" revenant ponctuellement dans le dialogue. Lesquels sont très courts : le long de la pièce est fait fait constitué de stichomythies. On n'assiste pas à la mort de Phèdre, on ne connait même pas la cause de sa mort; on l'apprend par sa fille Strophe, nouveau personnage introduit par Phèdre avec le prêtre et des personnage dont les noms ne sont pas précisés.
L'auteur garde l'amour incestueux et incontrôlable de Phèdre, ici, elle est prête à donner son corps à l'infâme Hippolyte, pour qu'il daigne la regarder : une dimension sexuelle, peu présente ou alors plus suggérée dans les autres pièces, est alors ajoutée à cette version du mythe.

La différence la plus énorme entre cette pièce et les anciennes réécritures et le changement radical de personnalité des personnages : 

Phèdre(Phaedra) fait une très courte apparition. C'est une femme rendue cruellement faible par son amour, au point de livrer son corps à Hippolyte. Le côté incestueux moralement incorrect de sa passion n'est pas autant mis en avant que dans les anciennes réécritures, mais d'autant plus frappant que le contexte moderne nous touche et nous choque peut-être plus. Kane préfère nous montrer une femme faible et soumise à l'amour, sans réelle conscience de ce qui ne touche pas à Hippolyte. On peut également supposer que Kane, auteure dépressive, s'identifie à ce personnage et tente par sa psychologie et ses actes de montrer une facette d'elle-même.

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Hippolyte (Lawrence Penry-Jones) et Phèdre (Diana Kent)
Hippolyte (Hippolytus) qui lui est aussi radicalement différent de son personnage d'origine : il a des relations sexuelles avec tout un tas de personnes inconnues, hommes et femmes. Il se définit lui même comme un violeur et un horrible personnage : il n'est ni beau, ni intelligent et n'est pas plus représentatif d'une certaine dignité ni d'une prestance. Hippolyte est un manipulateur égoïste et monstrueux, il n'a aucun respect pour sa propre lignée royale, ni pour la religion ou même les autres êtres humains, y compris son père "Fuck God. Fuck the monarchy"(Hippolytus. Scene 6). En fait, le personnage d'Hippolyte a connu l'évolution logique qu'on lui aurait attribuée : méprisant les dieux dans les pièces originelles, il devient dans cette société un pécheur.

Strophe est donc un personnage créée par Kane. Elle aime profondément sa mère Phèdre, ce qui ne l'empêche pas d'avoir eu des relations sexuelles avec Hippolyte et Thésée. Elle inspire notre compassion quand on apprend la mort de sa mère, elle se révèle en fait nymphomane, enfin elle reste un personnage vague, et assez étrange, dont le rôle est de faire le lien incestueux renforcé entre tous les membres de cette famille.

On trouve surtout dans cette pièce des dialogues sur le sexe mais aussi une critique satyrique sur la société que voit Kane dans la nôtre. En réalité Hippolyte est au centre de la pièce, Phèdre n'est plus le monstre, elle ne représente d'ailleurs plus grand chose, sinon une victime d'un monde mysogine, où tout désir amoureux hors-norme est immoral, et où les hommes qui s'ennuient trouvent leur distraction dans le sexe cru et ponctuel, rejetant toute notion de romantisme. Hippolyte définit la pièce en incarnant à lui tout seul la critique sociale complète de Kane, et fait de cette pièce une réécriture très fascinante.

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Extrait de la mort de Phèdre

STROPHE
She was my mother, Hippolytus, my mother. What did you do to her ?

HIPPOLYTUS 
(looks at her)

STROPHE 
She's dead you fucking bastard.

HIPPOLYTUS 
Don't be stupid.

STROPHE 
Yes. What did you do to her, what did you fucking do ?

STROPHE
batters him about the head.
HIPPOLYTUS
catches her arms and holds her so she can't hit him.  
STROPHE
sobs, then breaks down and cries, then wails uncontrollably.

STROPHE
What have I done ? What have I done ?

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STROPHE
C'était ma mère, Hippolyte, ma mère. 
Qu'est-ce que tu lui as fait ?

HIPPOLYTE
(la regarde)

STROPHE
Elle est morte, espèce de putain de connard.

HIPPOLYTE 
Ne sois pas stupide.
 
STROPHE 
Si.
Qu'est-ce que tu as fait, qu'est-ce que tu as fait, putain ?

STROPHE
le tape sur la tête
HIPPOLYTE
attrape son bras et la tient pour qu'elle ne puisse le frapper.
STOPHE
sanglote, puis s'effondre et pleure, puis gémit incontrôlablement.

STROPHE 
Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

lundi 15 février 2016

Dac et le théâtre parodique


Pierre Dac

Afficher l'image d'origine André Isaac, né le 15 août 1893 à Châlons-sur-Marne, est le fils d'une modeste famille juive d'Alsace, dont le père est boucher. Bon élève, il se destine à des études artistiques mais est appelé au front en août 1914, dont il reviendra quatre ans plus tard, blessé par des obus. Il exerce différents métiers puis devient chansonnier en cabaret; plus tard, il est animateur d'émissions et publications humoristiques, et participe à la création de nombreux sketchs radiophoniques ainsi que de courts ou longs métrages. En parallèle, il écrit des romans, essais, chansons et du théâtre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'engage dans la Résistance. Revenu, il est décoré chevalier de la Légion d'Honneur et Médaille de la Résistance. il tombe dans la dépression entre 1958 et 1960. Son humour burlesque, décalé et satirique est apprécié du public, si bien qu'il concourt pour la présidentielle de 1965; sa popularité montante inquiétant les autres candidats, il lui est demandé de se retirer. Fumeur, il meurt d'un cancer du poumon le 9 février 1975 à Paris, à l'âge de 81 ans.


Phèdre (à repasser) ou parodie tragique

En 1935, Pierre Dac écrit Phèdre (à repasser), une parodie de la pièce de Racine. Les personnages changent alors de nom : Si Phèdre et Hippolyte conservent leur idendité, il n'en va pas de même pour Oenone qui devient Pet-de-Nonne ou Thésée reconverti en Théramène. Le texte, parfois très cru, est bien loin de la notion cathartique d'Euripide ou même Racine. En effet, les seuls sujets nobles subsistant dans cette pièce sont dénaturés : la première didascalie de la pièce est "Le Choeur, gueulant". 
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Phèdre (à repasser), mise en scène Danièle Zanardo







Cependant, des éléments sont conservés, bien que détournés : l'intrigue est semblable, et le ton grandiloquent des alexandrins raciniens adopté également par Dac permet à la fois de mettre en emphase mais aussi, par contraste, de faire ressortir le ridicule entre la prétendue noblesse des personnages par rapport à leur langage, quoiqu'Hippolyte conserve une manière de s'exprimer très courtoise et ne jure pas. Là encore, l'expression d'Hippolyte ne fait que mettre en contraste la grossièreté de Phèdre.
Une différence assez intéressante, est que dans cette pièce, Phèdre meurt en même temps qu'Hippolyte, le piégeant : Sa mort se caractérise surtout par le refus de continuer à voir Hippolyte après qu'il l'a déshonoré. Contrairement aux autres pièces, Phèdre est la propre mère biologique d'Hippolyte. Cependant, elle assume complètement son désir (parce que, dans le cas présent, on ne peut pas parler d'amour) pour le jeune homme, sans se sentir coupable ou songer une seconde à l'immoralité de cette attirance. En fait, tout le long de la pièce, il n'est pas question de morale : Comment Dac pourrait-il écrire à ce propos quand lui-même la refuse tant qu'il peut ?
Dac fait ici appel à un personnage connu de la culture collective, incarnation même d'une pureté maudite, et la ridiculise. Le principe de l'imitation burlesque, poussé à l'extrême, fait perdre toute na noblesse à Phèdre, de qui les actes et la langue nous rapprochent.
Dac, lors de l'entre-deux-guerres, comprend bien que dans une atmosphère aussi pesante, ce que les gens ont besoin, c'est de rire. Phèdre, en tant que personnage, sert désormais de distraction, privée de sa grandeur d'antan, elle n'est plus qu'une nymphomane humiliée et moquée de ceux qui la lisent.



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Extrait de la mort de Phèdre

PET-DE-NONNE 
Elle respire à peine, elle va s'étouffer...

PHÈDRE 
Ben, c'est pas étonnant, j'ai c't'Hippolyt' dans l'nez!
Je veux dans le trépas noyer tant d'in-famie
Qu'on me donn' du poison pour abréger ma vie!

SINUSITE 
Duquel que vous voulez, d'l'ordinaire ou du bon?

PHÈDRE 
Du gros voyons, du roug', celui qui fait des ronds.
Qu'est c'que vous avez donc à m'bigler d'vos prunelles ?
Ecartez-vous de moi!
(A Hippolyte)
Toi, viens ici, flanelle.
Exauce un voeu suprême sans trahir ta foi,
Viens trinquer avec moi pour la dernière fois.
 (Les servantes apportent deux bols.)
A la tienne érotique sablonneux et casse pas le bol !
 (Elle boit)
Oh Dieu que ça me brûl', mais c'est du vitriol !

HIPPOLYTE boit
Divinités du Styx, je succombe invaincu 
Le désespoir au coeur...

PHÈDRE
Et moi le feu au cul !

Racine : Forme et fonction du théâtre classique

Le théâtre classique

Le théâtre classique débute sous Louis XIV, période où une certaine stabilité politique et même culturelle est recherchée, beaucoup d'Académies pour tout arts confondus sont crées, dans le but de réglementer les compositions d'auteurs, qui doivent respecter un nombre de règles :

Tout d'abord, la règle des trois unités, unité de temps de lieu et d'action.
 "Qu'en un jour, qu'en un lieu, un seul acte accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."(l'Art poétique - Boileau)
Elle consiste à restreindre l'action dans un espace unique, se déroulant en moins de vingt quatre heures, sans intrigues secondaires.
Ensuite la règle de bienséance, visant à ne montrer aux spectateurs aucune scène de violence, de sexe, de mort, ou même de contact physique. Ces actes sont seulement suggérés et se passent dans les coulisses à l'abris des regards. On parle d'un théâtre de paroles. Mais la bienséance montre aussi un héros qui a des sentiments conformes à son rang.
"Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose
Les yeux en la voyant saisiront mieux la chose;
Mais il est des objets que l'art judicieux
Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux."(l'Art poétique - Boileau)
La règles de vraisemblance dévoile une action possible, crédible, sans situation fantastique ou extraordinaire.
"L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas" (Boileau)

La catharsis prend une tout autre tournure, on ne peut désâment plus la comparer à celle qu'on trouvait dans l'antiquité, qui visait à purger les passions en montrant le destin terrible qui attend les héros qui se sont soumis à leurs passions. La catharsis prend un aspect moral, que Racine décrit lui même :"La tragédie, écrit-il, excitant la pitié et la terreur, purge et tempère ces sortes de passions, c'est-à-dire qu'en émouvant ces passions, elle leur ôte ce qu'elles ont d'excessif et de vicieux, et les ramène à un état modéré et conforme à la raison"(Œuvres complètes - Racine)

Architecture du théâtre classique :

Comme on peut le voir ci contre, l'architecture des théâtres du XVII ème prend sur un modèle italien, les salles sont réaménagés, avec des scènes de forme cubique, hautes et profondes avec des mécanismes nouveaux, et un grand rideau qui sépare la scène des spectateurs. On retrouve à la façon des théâtres de l'antiquité l'organisation des spectateurs dans la salle, en fonction de leur rang social :la noblesse et la bourgeoisie accédaient aux meilleurs places, situées dans les galeries ou les loges, allant même jusqu'à parfois s'installer sur des banquettes sur scène, le peuple lui reste debout au parterre.
Pour les décors, ils n'étaient pas extravagants parfois de simples toiles peintes et accessoires. Mais n'oublions pas que les règles imposent un décor vraisemblable et que malgré quelques troupes financés par le Roi, le théâtre reste un art encore controversé à l'époque. Les costumes étaient d'époque, et changeaient selon ce que la mode de la Cour exigeait.
ce théâtre s'inspire de l'antiquité, il est encadré par l'Eglise et le Roi Louis XIV lui même, ce qui fait que ces pièces respectent aussi une certaine éthique et morale.

Théatre de la Renaissance
salle de théâtre classique



Phèdre, une tragédie classique
La pièce que nous allons étudier ici s'intitule "Phèdre" de Racine, elle a été écrite en 1677, en pleine période classique.

Réécriture de Phèdre par Racine : Racine reprend le mythe, en insistant surtout sur la passion dévorante de Phèdre pour Hippolyte. La princesse, épouse de Thésée, tombe amoureuse d'Hippolyte, et se sent peu à peu dévoreé par cet amour immoral et incestueux, au point de ne plus supporter sa propre existence et d'en venir à s'empoisonner pour se purifier de ses passions. C'est d'ailleurs à la fin de la pièce qu'elle se raisonne enfin et avoue son crime : sa mort est morale. On observe même le caractère inévitable de son sort dès la naissance de ses sentiments, car déjà elle veut mourir; on est dès lors réellement dans une tragédie.
Phèdre est aussi caractérisée dans cette pièce par sa jalousie pour Aricie, cette jeune fille aimée par Hippolyte, car dès lors, elle ne peut plus se consoler en prétendant qu'Hippolyte fuit l'ensemble des femmes, car c'est seulement elle qu'il fuit. Phèdre est alors amoureuse mais aussi jalouse et apeurée par le retour imminent de son mari Thésée.

Phèdre, Cabanel, 1880


Dans cette réécriture, Racine s'intéresse particulièrement à la psychologie de Phèdre. Elle n'est plus, comme on pouvait le voir chez Sénèque, un monstre asservi par ses passions, qui se voue jusqu'à la fin à son amour pour Hippolyte, allant jusqu'à se lier pour toujours à lui dans la mort. Ici, Phèdre se sent coupable de ce qu'elle ressent, elle se déteste elle même, car elle a conscience de l'atrocité de ses sentiments, et le tournant majeur de cette réécriture dans le personnage de Phèdre est là et constitue un retour à la pièce originelle d'Euripide. Le monstre à la fin de l'histoire se purifie de ses passions, et se moralise. Il est évident que Phèdre est bien plus qu'une femme amoureuse, on parle même d'un personnage "multiforme" : on la voit évoluer au fil des actes, mais toujours au gré de son amour.
Pourquoi ce côté moralisateur dans le Phèdre de Racine ? La réponse est simple : on a pu observer que le théâtre classique imposait cette morale dans la tragédie; c'est pour cette raison que Racine écrit cette fin non pas heureuse car c'est impossible, mais plus une fin atténuée. L'acte digne et courageux de Phèdre prend une valeur exemplaire.
N'oublions pas que la tragédie classique est esthétique et dédiée à plaire à la Cour, de ce fait le spectacle se doit d'être beau, juste et noble.

On assiste entre Phèdre, Hippolyte et Aricie à un triangle amoureux, Racine définit l'amour d'Hippolyte pour Aricie comme une faiblesse, qu'Hippolyte lui même admet. Hippolyte qui se croyait au dessus de tout attachement, sans doute pour ne pas reproduire les amours volages de son père Thésée, ne s'était voué qu'à la chasse, sans éprouver aucune attirance envers les femmes. Cependant, il tombe amoureux d'Aricie, ennemie jurée de Thésée, et un conflit intérieur se mène dans l'esprit d'Hippolyte. Politiquement, son amour est une faute, tandis que l'amour de Phèdre pour Hippolyte est incestueux, et impossible moralement.
On peut en conclure que pour Racine dans cette pièce l'amour est soit issu d'une malédiction divine, donc à interpréter comme une punition, ou comme une faiblesse et encore comme une faute grave, on a donc un portrait de l'amour très négatif, une force incontrôlable et inexplicable, contre laquelle on ne peut pas lutter.
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Phèdre et Hippolyte, Pierre Narcisse Guérin, 1774


On peut observer des éléments similaires aux réécritures de ses prédécesseurs, notamment l'intrigue, qu'il emprunte à Euripide : l'amour puissant de Phèdre pour son beau fils, le suicide de celle ci et enfin l'intervention de Neptune. Mais Racine emprunte à Sénèque l'élément majeur de sa pièce : le héros n'est pas Hippolyte mais Phèdre, elle revient à la place centrale de la pièce. On sait aussi qu'il a emprunté à Ovide et Virgile d'autres éléments de sa pièce.
Cependant, on trouve des éléments nouveaux dans cette réécriture, qui témoignent de son originalité, comme l'importante participation d'Oenone dans ce drame, qui n'est plus un personnage secondaire. Ou encore un changement majeur de rang social pour Aricie, qui s'élève au rang de princesse, ce qui permet l'amour politiquement impossible entre elle et Hippolyte. Le départ et retour de Thésée a une importance majeure car elle redéfinit cette tragédie, désormais Phèdre n'a pas le temps de décider de son sort, la continuité des événements est orchestré par Thésée.

En réalité, l'originalité même de Racine, est de faire de Phèdre un "humain", une personne qui a une certaine morale et même intelligence, et c'est l'évolution de la folie amoureuse de Phèdre qui détermine la démarche tragique, et c'est en avouant sa passion dévorante que Phèdre devient un être responsable et humainement faible, inspirant notre compassion.


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Extrait de la mort de Phèdre

PHÈDRE
Les moments me sont chers écoutez-moi, Thésée :
C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un oeil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
La détestable Œnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur :
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême
S'est hâtée à vos yeux, de l'accuser lui-même.
Elle s'en est punie, et, fuyant mon courroux
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J'ai voulu, devant vous, exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J'ai pris, j'ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu'à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage
Et le ciel et l'époux que ma présence outrage ;
Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté
Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté

Garnier : Forme et fonction du théâtre humaniste

Le théâtre humaniste de la Renaissance.

C'est en Italie qu'on trouve les premières traces du mouvement humaniste, dès la fin du XIV ème siècle; Ce mouvement se définit tout d'abord par la redécouverte du théâtre antique, on appelle ce théâtre un "théâtre moderne", ces premières pièces modernes sont d'abord écrites en latin, on sait aussi qu'à Florence par exemple les tragédies sont destinées à être lues ou récitées, alors qu'à Rome elles sont destinées à être représentées.
Ce théâtre mène à la vraisemblance recherchée plus tard dans le théâtre du XVIIème, on refuse l'irrationnel et l’extravagant, en préférant l'esthétique et l'éthique.
Il emprunte certaines règles au théâtre antique, qu'on retrouvera par la suite dans le théâtre classique, comme la division de la pièce en cinq actes, et nombre très restreint de personnages.
Le théâtre humaniste est le prédécesseur logique au théâtre classique, l'idée de structure et de morale est déjà là, et la référence à l'Antiquité aussi.
Cependant, en France aussi le mouvement humaniste se fait sentir, mais bien plus tard, au XVIème siècle. Orchestré cette fois par l'Eglise, dans l'espoir d'une résurrection de l'art dramatique en s'inspirant comme les Italiens du modèle antique, en leur empruntant la règle par exemple des trois unités. Dans cette courte période on ne trouve que peu de comédies, malgré leur succès.

Vicenza teatro olimpico
Exemple de scène italienne durant la Renaissance

Robert Garnier, dramaturge et humaniste ?

Afficher l'image d'origineRobert Garnier est né vers 1545 à la Ferthé-Bernard (Sarthe), il est le fils d'une famille bourgeoise assez aisée, alliée à la noblesse locale. Il fait des études de droit et écrit déjà des sonnets, des chants royaux et des poèmes amoureux.
A partir de 1567, il est avocat au Parlement de Paris, mais il est aussi poète, il écrit la même année l'Hymne à la monarchie. Il publie en 1568 sa première tragédie à sujet romain Porcie.
Il exerce par la suite différentes charges judiciaires et administratives comme représenter l'autorité royale et faire régner l'ordre dans la cité en pleine guerre civile.
Mais Garnier est surtout dramaturge, il écrit essentiellement des pièces à sujets romains ou grecs. Il est nommé membre du Grand Conseil du Royaume le 12 octobre 1587.
Il meurt le 20 septembre 1590 au Mans.
On sait de sources sûres qu'il côtoyait Guy du Faur de Pibrac, les poètes de la Pléiade et évidemment son épouse Françoise Hubert.
Le dramaturge était un grand humaniste et fervent défenseur de la monarchie et du pouvoir royal fort.
De ses tragédies les plus connues on connait la Troade, Porcie, une tragé-comédie Bradamante, et trois tragédies humanistes Hippolyte, Antigone et les Juives.


 Hippolyte, pièce humaniste de Robert Garnier

Nous allons étudier "Hippolyte", pièce humaniste reprenant le mythe célèbre de Phèdre, écrite en 1573 par Garnier.
La pièce "Hippolyte", de son nom complet "Hippolyte, Tragédie de Rob. Garnier Conseiller du Roy au siège Présidial et Senechaussee du Maine" suit l'exemple d'une réécriture de l'Antiquité faite par Euripide "Hippolyte porte-couronne" en replaçant Hippolyte au centre de la pièce, laissant Phèdre au second plan.
Encore une fois je vais m'appuyer sur le personnage de Phèdre en particulier,  en se demandant pourquoi Garnier a tenu à introduire Hippolyte en tant que pièce maître de cette pièce, à l'inverse d'un de ses prédécesseurs Sénèque, à qui il emprunte juste les modalités de l'intrigue.

Phèdre est présentée tout d'abord dans cette pièce comme une femme malheureuse, d'abord parce qu'elle est éloignée de sa terre natale, la Crète, mais aussi car elle est attristée et souffre de l'adultère de son mari Thésée et de son . On peut interpréter cela comme une volonté de la part de Garnier de montrer une "victime" en le personnage de Phèdre. Victime d'une souffrance morale et physique, étant sensuellement insatisfaite aussi. Garnier insiste sur le fait que cette femme est profondément troublée par ce besoin sensuel d'amour et de considération, que son mari ne satisfait que dans l'adultère, avec d'autres femmes. On peut voir que ici Thésée a un rôle très négatif et méprisant envers son épouse. On se doute dans la logique des choses que l'affront de Thésée aura une influence sur la vengeance de son épouse.

Hippolyte après l'aveu de Phèdre sa belle-mère, Étienne Bathélémy Garnier, 1849

Mais n'oublions pas que l'amour de Phèdre pour son beau-fils reste une malédiction de Vénus, ce n'est donc pas un choix. De plus, cette punition se doit d'être terrible et moralement intolérable, sinon le caractère atroce des punitions divines perdrait de son sens.
Nous pouvons voir que Phèdre se sent très impuissante par rapport à son amour pour Hippolyte, en opposition à "Phèdre" de Sénèque, où Phèdre a conscience de son amour incestueux et l'assume profondément jusque dans la mort. Ici la souffrance de Phèdre se décrit surtout par le rejet d'Hippolyte quand elle lui avoue ses sentiments,on assiste donc à un double rejet : d'abord son époux la délaisse et la trompe, cause première de son malheur, puis quand elle retrouve dans l'amour incestueux qu'elle porte à son beau fils l'espoir que ses sentiments puissent être partagés, on la repousse à nouveau.

C'est sur ce point : l'amour constamment rejeté de Phèdre, sur lequel Garnier se base, en laissant de côté "l'incestueux amour" pour se consacrer davantage à la psychologie de cette femme mal-aimée, et c'est là un élément majeur de cette réécriture, sur qui Racine se basera plus tard.




Extrait de la mort de Phèdre
PHEDRE.
Las! Nourrice, il est vray: mais je n’y puis que faire.
Je me travaille assez pour me cuider distraire
De ce gluant Amour, mais tousjours l’obstiné
Se colle plus estroit à mon cœur butiné . (730)
Je ne sçaurois sortir libre de son cordage ,
Ma chaste raison cede à sa forçante rage:
Tant il peut dessur nous quand une fois son trait
Nous a troublé le sang de quelque beau pourtrait.
J’ay tousjours un combat de ces deux adversaires, (735)
Qui s’entrevont heurtant de puissances contraires.
Ores cetuy-là gaigne, et ore cetuy-cy,
Cetuy-cy perd apres, cetuy-là perd aussi:
Maintenant la raison ha la force plus grande,
Maintenant la fureur plus forte me commande: (740)
Mais toujours à la fin Amour est le vaincueur,
Qui paisible du camp s’empare de mon cueur.
Ainsi voit-on souvent une nef passagere
Au milieu de la mer, quand elle se colere,
Ne pouvoir aborder, tant un contraire vent (745)
Seigneuriant les flots la bat par le devant.
Les nochers esperdus ont beau caler les voiles,
Ont beau courir au mats, le desarmer de toiles,
Ont beau coucher la rame, et de tout leur effort
Tâcher malgré le vent de se trainer au port, (750)
Leur labeur n’y fait rien: la mugissante haleine
Du Nort qui les repousse, aneantist leur peine.
La nef court eslancee, ou contre quelque banc,
Ainci cette fureur violente s’oppose (755)
A ce que la raison salutaire propose,
Et sous ce petit Dieu tyrannise mon cueur.
C’est ce Dieu qui des Dieux et des hommes veinqueur
Exerce son empire au ciel comme en la terre:
Qui ne craint point de faire à Jupiter la guerre, (760)
Qui domte le dieu Mars, ores qu’il soit d’armet,
De gréve et de cuirace armé jusqu’au sommet:
Qui le dieu forgeron brusle dans la poitrine
Au milieu de sa forge, où le foudre il affine:
Le pauvre Dieu Vulcan, qui tout estincelant (765)
Aux fourneaux ensoulfrez travaille martelant,
Qui tousjours ha le front panché dans la fournaise,
Qui à bras decouverts va pincetant la braise,
Sans qu’il soit offensé de la force du feu,
De ces tisons d’Amour se defendre n’ha peu. (770)
Il brusle en l’estomac, et tout sueux s’estonne
Qu’en luy qui n’est que feu, cet autre feu s’entonne.


Dans un français plus compréhensible : 

PHEDRE.
Las! Nourrice, il est vrai: mais je n’y puis que faire.
Je me travaille assez pour me cuider distraire
De ce gluant Amour, mais toujours l’obstiné
Se colle plus étroit à mon cœur butiné . (730)
Je ne saurais sortir libre de son cordage ,
Ma chaste raison cède à sa forçante rage:
Tant il peut dessus nous quand une fois son trait
Nous a troublé le sang de quelque beau portrait.
J’ai toujours un combat de ces deux adversaires, (735)
Qui s’entrevont heurtant de puissances contraires.
Ores celui-là gagne, et ore celui-ci,
Celui-ci perd après, celui-là perd aussi:
Maintenant la raison a la force plus grande,
Maintenant la fureur plus forte me commande: (740)
Mais toujours à la fin Amour est le vainqueur,
Qui paisible du camp s’empare de mon coeur.
Ainsi voit-on souvent une nef passagère
Au milieu de la mer, quand elle se colère,
Ne pouvoir aborder, tant un contraire vent (745)
Seigneuriant les flots la bat par le devant.
Les nochers éperdus ont beau caler les voiles,
Ont beau courir au mât, le désarmer de toiles,
Ont beau coucher la rame, et de tout leur effort
Tâcher malgré le vent de se traîner au port, (750)
Leur labeur n’y fait rien: la mugissante haleine
Du Nord qui les repousse, anéantit leur peine.
La nef court élancée, ou contre quelque banc,
Ainsi cette fureur violente s’oppose (755)
A ce que la raison salutaire propose,
Et sous ce petit Dieu tyrannise mon coeur.
C’est ce Dieu qui des Dieux et des hommes vainqueur
Exerce son empire au ciel comme en la terre:
Qui ne craint point de faire à Jupiter la guerre, (760)
Qui dompte le dieu Mars, ores qu’il soit d’armet,
De gréve et de cuirasse armé jusqu’au sommet:
Qui le dieu forgeron brûle dans la poitrine
Au milieu de sa forge, où le foudre il affine:
Le pauvre Dieu Vulcain, qui tout étincelant (765)
Aux fourneaux ensouffrez travaille martelant,
Qui toujours a le front penché dans la fournaise,
Qui à bras découverts va pincetant la braise,
Sans qu’il soit offensé de la force du feu,
De ces tisons d’Amour se défendre n’a peu. (770)
Il brûle en l’estomac, et tout sueux s’étonne
Qu’en lui qui n’est que feu, cet autre feu s’entonne.

Sénèque : Forme et fonction du théâtre latin


Le théâtre latin : Formes et représentations

On ne va pas au théâtre dans l'antiquité romaine comme on va au théâtre de nos jours. Toute représentation s'intègre au culte relgiieux. La première représentation, qui n'était pas du théâtre à proprement parler, date de -364. A l'époque, on ne parle pas de théâtre, mais de "jeu scénique" : il s'inspire d'un rite étrusque assuré par des acteurs et visait alors à expier une épidémie de peste. Ce rite devient annuel de 364 à 350.   
Le théâtre romain est un théâtre d'Etat. La République y consacre aussi un certain nombre de jours de fête où toute la population est conviée. Six jeux annuels, à la fin de la République, sont consacrés à des divinités (Deux pour Jupiter, deux pour Cérès, un pour Apollon, un pour Liber.)
Le théâtre romain, theatrum, naît réellement vers 240 av.JC. Sous l'Empire, il revêt une importance essentielle : il est présent dans chaque cité romaine. Contrairement au théâtre grec, le bâtiment théâtre dispose d'un mur de scène, ce qui signifie qu'il peut être placé n'importe où en ville. Les représentations étaient gratuites, financées par de riches mécènes.
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Un auteur assis et son comédien
Les comédiens se trouvaient être presque tous des hommes, esclaves ou affranchis; cependant, à la différence de la Grèce, on pouvait exceptionnellement y trouver des femmes.
Les pièces en soi n'étaient pas jouées : le plus souvent lues par les acteurs ou les auteurs eux-mêmes, elles étaient surtout et avant tout un prétexte au chant et à la danse. Il n'y avait pas non plus de didascalies, sinon des indications de jeu directement émises dans les répliques et par les personnages. Personnages caricaturaux, par ailleurs, et ainsi facilement reconnaissables : Un vieillard avait les cheveux blancs, un esclave était roux, un jeune homme était blond. Ils pouvaient également être costumés : ainsi, ils portaient des masques correspondant à leur humeur ainsi que des cothurnes et toges flottantes.


Sénèque, le stoïcien

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De son vrai nom Lucius Aenecus Seneca, il est né en -2, au début de l'ère chrétienne, à Cordoue, Bétique, l'Andalousie actuelle. Il est le fils de Sénèque le Rhéteur, qui appartient à l'ordre équestre, et bénéficie d'une excellente éducation : il passe sa scolarité à Rome, où il se forme à la rhétorique. Son inclination pour la philosophie pythagoricienne et stoïcienne l'amène à mener une vie d'ascète qui lui cause des problèmes de santé. En 20, il quitte Rome pour se faire soigner en Égypte.En 31, il commence son cursus honorum en tant que questeur; Exilé entre 41 et 49 car accusé d'adultère, il le terminera en 50 comme préteur puis consul. Il est également sénateur, ainsi que précepteur puis conseiller de l'Empereur; d'abord de Caligula, puis de son successeur Néron. Celui-là même le poussera au suicide pour complot le 12 avril 65.Il fréquente de nombreuses personnalités telles qu'Agrippine, ses deux époux Claude et Caligula ainsi que son fils Néron, et entretient une relation avec Julia Livilla.
C'est un représentant de la doctrine stoïcienne, mais également un grand esthète, à qui ses neuf tragédies ont permis l'étude des caractères monstrueux. Parmi celles-ci, on retrouve Médée, Oedipe ou encore Phèdre. Il a également écrit des dialogues comme les Lettres à Lucilius, et des traités tels que "De la vie heureuse" (de vita beatia) ; "De la providence" (de providentia) ou "De la brièveté de la vie" (de brevitate vitae).




Phèdre : entre tragédie latine et monstre sénéquien

Dans la tragédie latine, il existe un schéma classique du "monstre" : il est défini par trois termes issus du vocabulaire juridique en vigueur à Rome, représentant des étapes qui, peu à peu, sortent le sujet de l'humanité.
Tout d'abord, il y a le dolor : il se caractérise par une souffrance intolérable subie par le sujet humain, qui laisse une blessure et peu à peu s'envenime : elle peut être une humiliation, une tromperie, une malédiction, un rejet...
Ensuite vient le furor : il est à la fois un stade transitoire où se mettent en place les actions du sujet dans la réalisation de son crime inhumain, mais aussi la période qui lui permet de sortir de son humanité, durant laquelle ses passions se déchaînent. Le sujet atteint de furor est le furiosus. Juridiquement, à Rome, un furiosus est un homme jugé "irresponsable", pris par une démence passagère.
Puis il y a le nefas,  ou scelus nefas (crime non permis) : c'est un crime symbolique, contre l'humanité. Il est inexpiable: lui et son auteur doivent être expulsés du monde des humains, et leur souvenir, s'il n'est pas effacé, sera l'objet d'une perpétuelle abomination : dans la tragédie romaine, le héros n'est jamais jugé. Il permet au furiosus de passer au statut de héros mythologique. Le scelus nefas revêt une dimension mythologique, car à Rome, il y a des lois contre l'infanticide, l'inceste... Il est en fait une sorte de démonstration d'un macrocosme par la victoire du chaos: en effet, ce crime dépasse l'entendement et la portée de la compréhension humaine.
Dans une tragédie, les personnages sont souvent stéréotypés : Il y a les simples mortels, qui font offices d'intermédiaires entre les bourreaux (ayant accompli un nefas) et les furieux victimes (simples furiosi).


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Phèdre, mise en scène Élisabeth Chailloux
On a souvent dit que Sénèque profitait de ses pièces afin d'y faire passer des principes stoïciens, mais les théories les plus récentes prêtent à croire que Sénèque s'intéresse surtout à exploiter les différents types de passions et faire ressortir les monstres de ses sujets. Ainsi, toutes ses pièces racontent l'accomplissement d'un nefas et donnent à voir le trajet accomplit par les héros, du dolor jusqu'à leur sortie de l'humanité. 
Dans Phèdre, à la fois tragédie de la fureur et de la mémoire, l'écriture se trouve être intéressante par son jeu de renvoi et d'échange des rôles constant, aussi bien dans les actes que dans les mots : Phèdre, au début furieuse victime de Vénus, devient bourreau de Thésée, qui lui-même devient bourreau d'Hippolyte, pourtant à l'origine du dolor de Phèdre. Cette même Phèdre qui ne cesse de s'exclamer : "Ah! Si j'étais ma soeur !" ou "Comme j'aimerais être Amazone!". En fait, Ariane et Amazone ayant toutes deux été compagnes de Thésée, le jeu incestueux est renforcé : elle veut parvenir à son époux, tout en s'imaginant être la mère d'Hippolyte.
Le monstre de Sénèque est bien différent de celui d'Euripide, dans deux mesures : En effet chez Euripide, Hippolyte est le personnage principal, à punir pour sa monstruosité. Il rejette Phèdre par mépris et dégoût. Il meurt châtié, et Phèdre elle, devient une martyre, victime d'Hippolyte. Chez Sénèque à l'inverse, Phèdre est mise en avant, éclipsant Hippolyte qui la rejette parce qu'il ne peut concevoir qu'une femme l'aime, la notion d'amour lui étant inconnue. Il ne sert que de prétexte au développement du furor de Phèdre, et il meurt victime de celle-ci.
La deuxième différence réside dans le fait que Phèdre ne se sent pas coupable. Elle utilise la malédiction de Vénus comme prétexte pour se laisser sortir de l'humanité ; elle se complait dans son furor et se précipite vers son nefas : celui-ci accompli, au lieu de se revenir à elle et de se contempler avec horreur, elle prend le visage de son crime, et le devient. Son suicide n'est donc pas une preuve de sa culpabilité, mais au contraire, elle s'expulse au plus vite de l'humanité afin de revêtir son statut d'héroïne mythologique, car elle sait que sa libération est impossible. En se tuant sur le cadavre d'Hippolyte, elle le souille et l'entraîne avec elle.

Le théâtre de Sénèque est un théâtre de divertissement et d'exploration des esthétiques tragiques. Il ne permet pas de catharsis, dans la mesure où le but n'est pas de purger le public de ses passions : Le fait que les personnages soient grecs, d'une autre culture et civilisation, instaure une distance avec les romains. Même les termes repris de leur terminologie juridique ne les concernent pas, car le furiosus est irresponsable, et les personnages inhumains. La tragédie latine ne saurait donc être la représentation de réalités extra-théâtrales, elle est la présentation d'une réalité autonome.

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Extrait de la mort de Phèdre 

PHÈDRE.

C'est contre moi qu'il faut tourner ta fureur, ô Neptune ; c'est contre moi qu'il faut déchaîner les monstres de la mer, ceux que Téthys cache dans les derniers replis de son sein profond, ceux que le vieil Océan nourrit dans ses plus sombres abîmes. O cruel Thésée, que les liens n'ont jamais revu que pour leur malheur, et dont il faut que le retour soit acheté par la mort d'un père et d'un fils! tu détruis ta famille, et c'est toujours la haine ou l'amour d'une épouse qui te rend coupable. — Hippolyte, est-ce ainsi que je te revois? est-ce ainsi que je t'ai fait? Quel cruel Sinis, quel barbare Procuste a déchiré tes membres? ou quel Minotaure, quel monstre mugissant dans la prison bâtie par Dédale, t'a frappé de ses cornes terribles et mis en pièces? Hélas! qu'est devenue ta beauté? que sont devenus tes yeux, astres brillants pour les miens? es-tu bien mort? Ah! viens et prête l'oreille à mes paroles. Je puis le dire sans honte; cette main vengera ton trépas, j'enfoncerai ce glaive dans mon sein coupable ; je me délivrerai tout ensemble de la vie et du crime : amante insensée, je veux te suivre sur les bords du Styx, et sur les brûlantes eaux des fleuves de l'enfer. Chère ombre, apaise-toi : reçois ces cheveux dont je dépouille ma tête, et que j'arrache sur mon front. Nos cœurs n'ont pu s'unir, nos destinées du moins s'uniront. Chaste épouse, meurs pour ton époux; femme infidèle, meurs pour ton amant. Puis-je partager la couche de Thésée, après un si grand crime? il ne te manquerait plus que d'aller dans ses bras comme une femme irréprochable dont on a vengé l'honneur. — O mort, seule consolation qui me reste dans la perte de mon honneur, je me jette dans tes bras, ouvre-moi ton sein! — Athènes, écoute-moi, et toi aussi, père aveugle, et plus cruel que ta perfide épouse. J'ai menti : le crime affreux que j'avais moi-même commis dans mon cœur, je l'ai rejeté faussement sur Hippolyte. Tu as frappé ton fils innocent, toi, son père, et sa vertu a subi le châtiment d'un inceste dont elle ne s'était point souillée. Homme chaste, homme pur, reprends la gloire qui t'est due. Cette épée fera justice, et, ouvrant mon sein coupable, fera couler mon sang pour apaiser ton âme vertueuse. Ton devoir, après ce coup fatal, la marâtre de ton fils te l'enseigne, ô Thésée ; apprends d'elle à mourir.

Euripide : Forme et fonction du théâtre grec



 Le théâtre à l'origine

Le théâtre grec trouve ses origines dans la représentation mimétique de l'histoire des dieux et de leurs mythes. A l'origine, les pièces étaient représentées sur des aires de battage pour le blé, où les paysans remerciaient Dionysos. Évoluant et prenant de l'essor, ces remerciements se transformèrent en fêtes appelées Dionysies : les auteurs tragiques tels que Sophocle, Eschyle ou Euripide s'affrontaient lors d'un concours d'une durée de cinq jours: ils devaient y présenter trois tragédies appartenant à un même cycle et un drame satyrique. Les fêtes débutaient par une grande procession au cours de laquelle des jeunes hommes habillés en satyres traversaient la ville. Les comédiens, eux, jouaient sur scènes dotés de masques caricaturaux leur permettant de jouer personnages et expressions canoniques.Afficher l'image d'origine
Le théâtre grec n'est pas, comme aujourd'hui, une forme de divertissement. Il s'agit avant tout de représentations cérémoniales, politiques et religieuses. Il permet d'inculquer des valeurs morales aux citoyens, à se pencher sur des problèmes de la vie en communauté par le biais de la mythologie le plus souvent. C'est un véhicule populaire d'idées politiques et religieuse.








Euripide, un tragédien moderne
Afficher l'image d'origineΕὐριπίδης / Euripídês serait né à Salamine vers -480, le même jour que la fameuse bataille. Il est le fils de Mnésarchidès et Clito, qui seraient soit nobles, soit respectivement charpentier et marchande de légumes. Il reçoit une éducation coûteuse et complète auprès de précepteurs tels qu'Anaxagore, Protagoras, Prodicos, avec lesquels il s'initie aux principes de la philosophie et du sophisme.
Il est formé comme athlète aux jeux gymniques et théséens, ainsi que danseur et porteur de torches lors des cérémonies dédiées à Apollon, mais est aussi peintre et poète. A partir de -455, il s'exerce comme tragédien. Il meurt à Palla en Macédoince, en -406.
Il fréquente Socrate et Aristote, par qui il est qualifié du "plus tragique des poètes". Ses pièces, accessibles, communiquent des principes scientifiques et philosophiques. Son oeuvre se caractérise par son innovation : les comportements humains et situations sont représentés avec plus de réalisme, abandonnant la grandeur et la noblesse qui caractérisaient les tragédies grecques. Ainsi, Euripide représente les faiblesses, les peurs, les passions, les drames humains et accorde de l'importance au rôle des femmes. C'est avec lui que les toutes premières réelles intrigues sont créées; elles supportent toutes l'action de la pièce. Il a écrit entre 92 et 95 tragédies, dont 19 seulement nous sont parvenues entières, dont Médée (-431), Andromaque (-426) ou encore Hippolyte Porte-Couronne (-428).



Hippolyte Porte-Couronne

Hippolyte Porte-Couronne est la seconde version, après Hippolyte Voilé, qui fit scandale pour une raison inconnue.
Dans cette pièce, l’amour de Phèdre n’est pas seulement présenté comme l’effet de l'irrésistible volonté d’Aphrodite. En proie à cette passion incestueuse qui la dévore et la trouble jusqu’au délire, la malheureuse reine reste chaste. Malgré ses difficultés, elle parvient à réfléchir à la condition des femmes, aux causes qui portent le désordre dans les cœurs et dans les foyers, aux discrédits qui frappent son sexe. Elle garde la tête froide et fait des observations si cyniques que parfois, la lisière entre amante meurtrie et grave docteur est ténue. Ces réflexions sont courantes chez Euripide : philosophe, il appréciait de poser des questions et d'y répondre, ou bien au contraire de les laisser en suspens.
Pour son mari et ses enfants, elle est résolue à se garder pure et ce n’est pas uniquement par crainte du scandale. L’honneur se fonde chez elle sur une fière pudeur :elle considère sa passion involontaire comme une souillure coupable et la conscience de sa chute la rendrait intolérable à elle-même. Et quand ces forces la trahissent, elle se décide pour le seul parti capable de lui sauver l’honneur : la mort. On peut rattacher celle-ci à la notion de pharmakos : celui qu'on immole en expiation des fautes d'un autre. Aussi, il y a une ambiguïté : le terme grec désigne aussi bien la mort de Phèdre pour les crimes d'Hippolyte que le poison par lequel Phèdre se tue.
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La mort d'Hippolyte, Pierre Paul RUBENS
Ici, le but de la pièce est moins de montrer la faiblesse de Phèdre que la puissance des dieux. Hippolyte, les méprisant, est le vrai monstre ici : fougueux, lâche, ne respectant ni morale ni principe. Phèdre, elle, bien qu'elle tente de lutter, ne sait plus quoi faire : en tentant de résoudre les choses, elle ne fait que les empirer, car son destin est de toute manière scellé par la malédiction d'Aphrodite ; c'est le propre de la tragédie. Phèdre, en préservant ses valeurs et vertus malgré ses pulsions, s'élève ainsi à un rang d'exemple, de martyre : elle meurt pour son honneur, tout comme un citoyen grec est tenu de le faire. La morale est donc claire : Le respect des dieux et des valeurs est important, au risque d'être châtié : Hippolyte en a fait les frais. L'attitude à adopter est celle de Phèdre, qui malgré la malédiction qui pesait sur elle, a su conserver les valeurs qui étaient ancrées dans sa personne. Le théâtre grec a donc une fonction exemplaire ou dissuasive : ainsi l'hybris, ou passion, dont les personnages sont atteints sert à la catharsis du spectateur grec.



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 LE CHŒUR
Veux-tu donc consommer un mal sans remède ?

 PHÈDRE.
Je veux mourir : quant au moyen, j'y aviserai.

 LE CHŒUR.
Écarte ces propos funestes.

PHÈDRE.
Et toi, donne-moi de sages conseils. Je vais réjouir Vénus, auteur de ma ruine, en me délivrant aujourd'hui de la vie : je succombe sous les traits cruels de l'amour. Mais ma mort deviendra aussi funeste à un autre : qu'il apprenne à ne pas s'enorgueillir de mes maux ; en partageant à son tour ma souffrance, qu'il s'instruise à la modestie.

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LE CHŒUR.
Que ne suis-je sous les cavernes profondes, portée sur des ailes, et mêlée par un dieu aux troupes errantes des oiseaux ! Je m'élèverais au-dessus des flots de la mer Adriatique et des eaux de l'Éridan, où les trois sœurs infortunées de Phaéton, pleurant son imprudence, versent des larmes d'ambre transparent, dans les ondes pourprées de leur père !
J'irais aux bords fertiles des Hespérides aux chants mélodieux, où le dieu des mers ne livre plus passage aux nautoniers, et fait respecter l'infranchissable barrière du ciel, que soutient Atlas ; là où des sources d'ambroisie coulent dans le palais de Jupiter, et où la terre, féconde en délices, dispense la félicité aux gens de bien.
Ô navire crétois aux blanches ailes, qui à travers les flots de la mer retentissante transportas ma souveraine, d'une maison fortunée vers les délices d'un hymen malheureux ; sans doute de l'un et de l'autre rivage, ou du moins de la terre de Crète, un sinistre augure vola vers l'illustre Athènes ; mais ils attachèrent les câbles sur le rivage de Munychium, et descendirent sur la terre continentale.
Pour accomplir ces tristes présages, Vénus blessa son cœur par la funeste atteinte d'un amour criminel : accablée sous ce coup terrible, elle va suspendre aux lambris de la chambre nuptiale un fatal lacet, destiné à finir ses jours ; témoignant ainsi son respect pour une déesse implacable, sa sollicitude pour une honnête renommée, et délivrant son cœur d'un amour dont elle a tant souffert.